Aujourd'hui, j'ai pas envie de vous raconter à quel point je suis une personne extraordinaire parce que vous avez dû recevoir des centaines de lettres du même genre. J'ai envie de vous partager mon histoire, de vous raconter ce qui a fait de moi la femme que je suis.
J'ai grandi dans une petit commune à quelques kilomètres d'Aix-en-Provence, Le Tholonet pour être précise. Pour les gens qui connaissent, c'est assez rupin. En réalité, je sais que c'est loin d'être le cas. J'ai la chance d'avoir grandi sur un terrain qui appartenait à mes grands-parents et les générations avant eux . A l'origine, je crois même que c'était le potager de mon arrière-grand-mère.
On a donc la chance d'avoir une belle maison. J'ai eu la joie de grandir dans une jolie bâtisse avec un grand jardin. Pour autant, mes parents ne roulaient pas sur l'or, loin de là. On s'en est toujours sorti mais on a toujours dû faire attention à l'argent, surtout lorsque mon père était au chômage. Pendant mes études supérieures, j'ai été boursière échelon 1 puis 0 bis. On ne peut donc pas dire que j'étais pauvre. J'ai d'ailleurs toujours culpabilisé d'être boursière alors que certains de mes amis étaient échelons 5,6, voire 7.
Après le bac, j'ai voulu tenter la fac de médecine à Marseille. C'était dur, trop dur même. C'est aussi l'année où ma grand-mère a succombé à son cancer du poumon. C'était dur, trop dur. J'ai aussi perdu mon premier chien, celui avec lequel j'avais grandi. Ca peut paraître anecdotique mais non, ça l'est pas. J'ai donc foiré mon année de médecine, mes espoirs de devenir psychiatre se sont envolés par la même occasion... Foutu numerus clausus.
Puis, je me suis reconnectée à moi et à une autre de mes envies profondes : le journalisme. J'ai foncé tête baissée, comme une kamikaze. J'ai fait une licence de LEA, l'enfer, car trop de matières pour si peu de substance. Je me disais que c'était bien de faire quelque chose de large pour engranger le maximum de connaissances sans comprendre que ce qui fait la beauté d'une personne, ce sont ses spécificités.
Je voulais absolument décrocher une école de journalisme reconnue à l'issue de ces trois années. J'ai tellement entendu que le marché était bouché, que je voyais ça comme la "voie royale", une expression bien bien éculée. C'est devenu une obsession. J'ai passé les concours à trois putain de reprises. Pour la deuxième année, j'ai même décidé de faire une prépa privée pour laquelle j'ai fait un emprunt à la banque. Tout ça pour que ça ne mène à rien.
Heureusement, j'ai fait la rencontre d'une prof là bas. Dieu merci, elle m'a parlé d'une prépa spécialement faite pour les boursiers qui souhaitent intégrer une école reconnue. C'était la première année qu'ils ouvraient une antenne à Marseille. Ca s'appellait La chance aux concours à l'époque. Beau programme.
Et j'ai réussi. J'ai été prise à l'Ecole publique de journalisme de Tours. Pas parce que je m'étais foncièrement améliorée mais parce que c'était la première année qu'ils ouvraient leur propre master de journalisme. C'était une des rares écoles à faire des quotas de boursiers. Et ça, je l'ai réalisé que récemment. Que l'unique raison pour laquelle j'ai été enfin prise, c'est parce que j'étais boursière, j'étais un putain de quotas.
Sur mes huit camarades de promo à La chance, on est deux à avoir intégré une formation reconnue. Ca m'a rendu malade quand je voyais le potentiel de certains. Encore ce putain de sentiment d'illégitimité mêlé à de l'injustice dans sa forme la plus brute. J'en ai plus que marre de vivre dans un système qui nous fait croire que laisser sa chance à des personnes qui ne viennent pas d'un certain milieu, c'est honteux. De nous faire croire qu'on devrait laisser notre place, suivre le chemin tout tracé par la société.
Parce que c'est bien connu, mettre en place des quotas, c'est prendre le risque de prendre la place des gens qui méritent vraiment, ceux qui ont du talent, du vrai. Alors oui, j'ai envie de le crier haut et fort, je suis un putain de quota et je suis fière de l'être.
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