L'intime a toujours été politique. Qu'on le veuille ou non.
Qu'on le veuille ou non, l'intime est le domaine de la Femme et le public, celui de l'Homme. Alors quand les femmes souhaitent projeter l'intime aux yeux de tous, ils s'indignent, crient à la folie, à la victimisation ou dans le pire des cas, au mensonge.
Car c'est bien de ça dont il s'agit, de prise de parole. Et donc de prise de pouvoir.
Dans un monde où l'opprimé.e revendique le droit du mot, iel est perçu.e comme un parasite à la recherche de notoriété, d'argent ou bien des deux.
Car c'est bien connu : "les victimes se victimisent trop", "elles exagèrent" et "si elles mettent autant de temps à parler, c'est dans le but d'élaborer un plan pour faire tomber le riche et puissant".
"Les preuves ne sont pas suffisantes", ce n'est pas moi qui le dit, c'est la justice.
Mon cœur saigne en écrivant ces mots. Je ne devrais sûrement pas le dire car on s'en servirait d'argument pour démolir mon propos. On dirait que ma parole ne vaut rien car je suis trop dans l'affect, pas objective et incapable de faire preuve de raison. On dirait que je me sers de mes émotions pour manipuler. Quelle gârce je fais.
Un discours à l'image de celui utilisé contre Amber Heard, jetée en pâture lors du procès en diffamation l'opposant à Johnny Depp. "Je me souviens avoir regardé à travers la pièce, regardé toutes les bouteilles cassées, le verre cassé, et je me souviens ne pas vouloir bouger car je ne savais pas si elle était cassée. Je ne savais pas si la bouteille qu'il avait inséré en moi était cassée". Des mots prononcés avec difficulté par la jeune femme, des paroles ponctuées de larmes et de respirations saccadées. Une manifestation explicite de la douleur du traumatisme vécu et de la violence de se confier à des personnes venues évaluer la légitimité et la cohérence de son ressenti. "C'est une actrice", "ce sont des larmes de crocodile", "c'est une menteuse", pouvait-on lire à tour de bras sur les réseaux sociaux. Du pain béni pour l'équipe juridique du comédien, qui n'a eu de cesse de tourner en dérision les paroles et le comportement d'Amber Heard tout au long du procès.
TW : violences sexuelles
Une rhétorique très ancrée dans l'inconscient collectif et qui révèle une misogynie systémique. Un dogme selon lequel les émotions des femmes sont utilisées pour attendrir ou manipuler.
Une autre façon de nous rappeler que la parole des femmes ne vaut rien : en France, 10% des plaintes pour viol aboutissent à des condamnations pour viol. Un chiffre qui ne rend pas compte des femmes qui ne portent pas plainte, par peur de devoir affronter un système judiciaire violent et inefficace. Une peur entièrement fondée. Il suffit pour ça d'écouter les nombreuses victimes qui relatent leur expérience épuisante et humiliante, depuis le commissariat de police jusqu'aux procès lui-même, si tant est qu'il y en ait un.
Car bien souvent, la plainte est classée sans suite, preuve irréfutable que l'accusé est innocent pour certain.es et d'un manque cruel de considération pour les paroles des victimes pour d'autres.
Bien souvent, les procès pour viol se résument à des procès d'intention : intention de commettre un acte malveillant d'un côté (chose impossible à prouver lorsque l'accusé nie les faits de violence) et intention de séduire de l'autre (une seconde nature chez les femmes*). Dans tous les cas, la victime est perdante. Le bourreau devient alors le bafoué, sali par une parole calomnieuse.
Alors non, je n'en veux pas aux femmes qui ne portent pas plainte. Je n'en veux pas à celles qui ne veulent pas s'infliger ce parcours humiliant, dont l'issue serait l'espoir (infime) d'être enfin reconnue victime.
Comment voulez-vous que les femmes portent plainte ? Nous vivons dans un mode où la victime parfaite est attaquée en pleine rue (de jour), parvient à échapper à son agresseur et court déposer plainte au commissariat de police, l'ADN du criminel et des traces de luttes explicitement détectables sur son corps. Elle porte un jogging large et une veste de survêt, cela va de soi. Devinez quoi ? Cette victime-là n'existe pas.
Mieux. Aux yeux du monde, la meilleure des victimes est morte, car absente pour témoigner. La victime parfaite "donne" sa vie en guise de preuve. Et même là, ce n'est pas assez. La preuve avec Bertrand Cantat, meurtrier condamné de Marie Trintignant, accueilli à bras ouvert lors de son come-back musical en décembre dernier. "Cantat en son nom", pouvait-on lire en Une des Inrocks. Une première de couv' exclusivement consacré à l'ancien chanteur de Noir Désir, sur laquelle il fait montre de ses états d'âme. Preuve s'il en est, que les accusations et les condamnations visant les hommes violents envers les femmes, brisent plus d'espoirs d'une vie plus juste que de carrières.
*cette phrase est bien entendu sarcastique, je dénonce ici une idée fausse et profondément misogyne selon laquelle le seul but de la femme serait de plaire aux hommes et que même lorsqu'elles disent "non", c'est en réalité un "oui".
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