
Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu écrire une histoire, celle d'une petite fille au destin extraordinaire. Une petite fille qui ne se rendait pas compte de son potentiel mais qui était capable de changer le monde par le simple pouvoir des mots. Mais en grandissant, je me suis dit que cette idée était absurde et que si je voulais écrire quelque chose de pertinent, il valait mieux que le protagoniste soit un garçon. Parce que s'il y a bien une personne capable de changer le monde, c'est forcément un garçon. Il suffit pour ça de regarder la littérature et le cinéma. Hercule Poirot, Sherlock Holmes, James Bond, Frodon Saquet ou encore Neo... la liste est longue.
Le pire dans tout ça ? Même les autrices semblaient s'être mises d'accord pour faire de leur héros un personnage masculin. L'une des seules à sembler tirer son épingle du jeu est Agatha Christie, qui a mis en avant la détective Miss Marple, une dame âgée à laquelle aucune enquête ne résiste. Pourtant, les chiffres sont bien là. Quand Hercule Poirot compte près de 33 romans et 50 nouvelles à son actif, son pendant féminin, elle, apparaît dans tout juste 12 romans et 20 nouvelles. Un constat qui reflète tristement l'imaginaire rattaché au rôle de la femme dans notre société depuis plusieurs millénaires. Les personnages féminins sont là pour soutenir le héros esseulé, sur les épaules duquel repose le destin de l'humanité.
Et ça, dès mes 14 ans, je l'avais bien compris. J'ai donc décidé de me concentrer sur un récit mêlant triangle amoureux, amitié et jalousie. Pour moi, il était impossible de concevoir une intrigue qui ne tournait pas autour d'un garçon ou de plusieurs garçons.
Pour sortir de ce carcan, il fallait que le protagoniste soit masculin. Et ça, J.K. Rowling l'a bien compris.
La maladie d'Anne Rowling, à l'origine du mythe d'Harry Potter ?
Alors âgée de 15 ans, l'autrice en devenir découvre que sa mère est atteinte de sclérose en plaques. Une maladie neurodégénérative qui affecte le système nerveux central et qui diminue progressivement les capacités cognitives et émotionnelles. Anne Rowling meurt le 30 décembre 1990 à l'âge de 45 ans. Cet épisode est fortement structurant pour la jeune Joanne, qui avait, quelques mois plus tôt, eu pour idée de raconter les aventures d'un jeune orphelin découvrant qu'il était en réalité un sorcier. Le mythe du magicien le plus connu de ces dernières décennies prend alors forme à bord du train menant l'autrice de Manchester jusqu'à Londres.
"J'ai été très influencée par la mort de ma mère. C'est quelque chose qui arrive à beaucoup de gens, la mort de vos parents, et c'est toujours un événement majeur dans votre vie. Mais c'était particulièrement poignant pour moi parce que j'étais si jeune, et j'avais le sentiment que ça avait un impact sur moi bien au-delà de ce que j'avais jamais imaginé. Lorsque j'ai commencé à écrire sur Harry, il s'apprêtait à devenir orphelin. Ca a toujours été une de ses caractéristiques principales. Donc je pense que le décès de ma mère a véritablement influencé mon écriture", confiait l'autrice au Scottish Book Trust en 2001.
Le choix d'un garçon comme fer de lance de l'humanité
Dans de nombreuses interviews, Rowling s'est exprimée sur le choix d'un garçon pour incarner l'histoire d'Harry Potter. Comme c'est le cas depuis des siècles et notamment au début de la Renaissance, la langue anglaise a commencé à fusionner les genres neutre et masculin, à l'image des mots "man" et "he", utilisés pour qualifier l'être humain de manière générale. Par la suite, le masculin a été sciemment choisi comme forme générique à raison de son usage quotidien et de sa présence dans les textes écrits.
"J'ai choisi de faire d'Harry un garçon car les livres allaient parler de choses universelles pour tous les enfants - et pas seulement pour les filles - donc ce n'est pas quelque chose à laquelle j'ai trop réfléchi. Harry devait être un garçon parce que son destin était écrit d'une façon telle qu'il devait être un garçon pour accomplir la prophétie", confiait l'autrice au Sunday Times en 2000.
Par ailleurs, les traits de personnalités attribués à Harry Potter n'étaient pas habituellement ceux que l'on retrouvent chez une femme à l'époque. Selon les stéréotypes de genre, les filles se veulent studieuses, discrètes alors que la force, le courage et la détermination sont des qualités perçues comme typiquement masculines. Un point qui témoigne de la misogynie intériorisée de la société de l'époque (et encore actuelle), ainsi que celle de J.K. Rowling. (Nous reviendrons plus tard sur ses différentes prises de position quand à la communauté trans).
Je vous vois tout de suite venir. "Et Hermione Granger dans tout ça ?", "Sans elle, Harry n'aurait même pas survécu au premier tome !". Et vous auriez raison... J.K. Rowling souhaitait effectivement la présence d'un personnage féminin fort, brillant par son intelligence et ses qualités humaines, telles que l'empathie et un sens fort de la morale. Il y a une phrase prononcé par Ron qui m'a toujours marquée à la fin de Harry Potter à l'école des sorciers, alors que les trois amis sont à deux doigts de récupérer la pierre philosophale convoitée par celui qu'ils pensent être le professeur Rogue. Le frère Weasley lance alors :
"Harry, c'est toi qui dois continuer, je le sais. Pas moi, pas Hermione, toi !"
Voldemort, allégorie de l'angoisse de mort
A travers le personnage de Voldemort, J.K Rowling exprime sa propre peur de la mort, celle qu'elle a notamment dû affronter avec le décès de sa mère. Alors qu'Harry Potter accepte peu à peu le décès de ses parents, parvenant à se créer une nouvelle famille au fil des tomes, Voldemort, lui, s'acharne à accumuler toujours plus d'horcruxes (objets permettant de renfermer une partie de son âme au péril de son intégrité morale) qui lui permettront de survivre encore plus longtemps.
Par ailleurs, l'autrice a également associé Voldemort a une figure symbolisant le manque de tolérance et la supposé supériorité du sang pur. Pour celui qu'on appelait Tom Jédusor, seuls les sorciers de sang pur (qu'il n'est d'ailleurs pas) mériteraient de posséder des pouvoirs magiques. Un lien qui peut être aisément fait avec les théories aryennes, fascistes et nazies du siècle dernier.
"Voldemort est l'expression la plus pure du mal. Il est raciste. Son point de vue sur la pureté du sang est tout simplement mauvaise, celui selon lequel il y aurait une forme de supériorité dans le fait d'être naît avec des dons pour la magie, dans son cas né avec un talent qu'il considère comme supérieur", expliquait J.K Rowling dans une interview au Leaky Cauldron en 2005.
Si l'analogie la plus évidente est celle du nazisme, on peut également s'interroger sur la vision que J.K Rowling porte sur la femme. En effet, la rhétorique d'une supériorité "naturelle" de l'homme sur la femme, que ce soit sur le plan physique ou intellectuel est un stéréotype encore fortement ancré dans notre société à l'heure actuelle et d'autant plus dans les années 1990/2000.
On pourrait donc se demander si Voldemort ne représenterait pas l'homme macho et misogyne par excellence qui estime que le sexe supérieur est masculin.
Je tenais tout d'abord à rappeler que la transphobie n'est pas seulement la PEUR des personnes trans mais notamment une aversion pour celles-ci et une volonté de nier la réalité de leur ressenti et de leur identité. Si J.K Rowling a laissé quelques indices quant à l'idée qu'elle se faisait de la communauté trans au fil des années, c'est en juin 2020 qu'elle s'est ouvertement positionnée contre les personnes en dissonance avec le sexe qui leur a été assigné à la naissance. L'autrice avait ainsi rédigé un texte de 3600 mots sur son blog dans lequel elle confirme sa position sans aucune équivoque.
De "l'importance du sexe biologique"
"Il est temps pour moi de m'exprimer sur un sujet emprunt de toxicité. J'écris ces mots sans aucune volonté d'ajouter à cette toxicité ambiante", débute l'écrivaine. Une prise de parole qui a débuté avec l'affaire Maya Forstater. Cette dernière était chercheuse au sein du Centre for Global Development (CGD), un Think Tank spécialisé dans les politiques économiques et sociales.
En 2019, son contrat n'est pas renouvelé à cause de la publication de plusieurs tweets ayant fait l'objet de plusieurs plaintes. En effet, elle critiquait notamment certains droits accordés aux personnes trans, affirmant que "le sexe biologique [était] immuable et que les femmes trans ne sont pas des femmes".
En décembre de la même année, J.K. Rowling avait décidé de prendre la défense de la chercheuse : "Habillez-vous comme vous le souhaitez. Appelez-vous comme vous voulez. Couchez avec n'importe quel adulte consentant qui vous veut. Vivez votre meilleur vie en paix et en sécurité. Mais forcer une femme à perdre son emploi pour avoir dit que le sexe est réel ? #IStandwithMaya".
Dans son essai publié à la suite de la controverse, J.K Rowling a donc tenter de clarifier ses propos. "Mon intérêt pour la question trans date de presque 2 ans avant le cas de Maya (Forstater) pendant lesquels j'ai suivi de près des débats sur le concept d'identité de genre. J'ai rencontré des personnes trans, des spécialistes du genre, des personnes intersexe, des psychologues, des groupes d'experts , des travailleurs sociaux et des docteurs. J'ai aussi suivi des discours en ligne et au sein des médias traditionnels", explique-t-elle. Bien entendu, l'autrice avance que son intérêt pour la question est avant tout purement "professionnel" car elle préparait un roman policier dont le personnage principal serait en plein questionnement autour de son identité de genre.
Je vais sortir de mon rôle de journaliste un instant, même si je suis convaincue que l'objectivité relève du mythe dans ce métier et que nous sommes tous et toutes entourés de biais. Mais permettez-moi au moins de faire preuve d'honnêteté intellectuelle. Selon moi, toute la rhétorique de J.K. Rowling autour de sa non-transphobie, que ce soit à travers son like "par erreur" d'un tweet transphobe ou encore le follow d'une activiste lesbienne mourant d'une tumeur du cerveau mais qui croyait fermement en la prévalence du sexe biologique sur le genre (construit), est extrêmement insidieuse. Se servir de recherches prétendument "scientifiques" pour prouver que le sexe assigné à la naissance fait de tel ou telle personne un homme ou une femme est extrêmement réducteur et invalidant pour les personnes trans.
Plus loin dans ce même texte, J.K Rowling se targue d'avoir été submergée de lettres et mails positifs de remerciement à la suite de la controverse :
"Elles [ces lettres] émanaient d'un mélange de personne gentilles, empathiques et intelligentes, dont certains avait dû faire face à de la dysphorie de genre ainsi que de personnes trans, qui étaient profondément préoccupés par la manière dont un concept socio-politique influençaient la politique, les pratiques médicales et le conservatisme. Ces personnes sont inquiètes des dangers qui peuvent toucher les jeunes, les personnes gays, et à propos de l'érosion des droits des femmes et des filles. Et pardessus tout, ils s'inquiètent de ce climat de peur qui ne sert personne - et encore moins la jeunesse trans".
Tant de mots pour tenter d'annihiler un sentiment que de nombreux enfants peuvent ressentir dès leur plus jeune âge. Il n'existe pas d'idéologie trans, tout comme il n'existe pas d'idéologie homosexuelle, lesbienne ou de théorie du genre. Il s'agit de la même rhétorique dans tous les cas. Ce n'est pas parce que vous effacez les personnes minorisées de l'espace public ou des débats qu'elle disparaîtront. Alors si, certaines disparaîtront car marginalisés, tabassées dans la rue ou poussée vers la suicide à cause d'une société qui nie leur réalité et les poussent à croire que leur identité de genre relève de la pathologie. Pour rappel, la transphobie tue. Selon le projet Trans Murder Monitoring, entre octobre 2022 et septembre 2023, 320 personnes transgenres ont été assassinées dans le monde, dont la majorité sont des femmes transgenres (94% des cas signalés). Selon une autre étude menée par le Trevor Project, institut de sondage concernant la santé mentale des personnes LQBTQ+ aux Etats-Unis, 46% des personnes trans ou non-binaires ont sérieusement considérées le suicide. Des taux encore plus élevés ont été enregistrés lorsqu'il s'agit de personnes racisées. Toujours selon le Trevor Project, près de 30% des hommes trans britanniques et 23% des femmes trans britanniques ont tenté de se suicider en 2024. (Le taux étant de 9% chez les hommes cis et de 13% chez les femmes cis).
Le ressenti et l'intime conviction quant à l'identité de genre de chacun.e n'est et ne sera jamais quelque chose qui pourra être remise en question par autrui. Pas même par celle qui a créer un univers dans lequel toutes les créatures imaginables ont leur place et voix au chapitre.
Entendez bien, je ne cautionne en aucun cas le harcèlement qu'a pu subir J.K Rowling lors de ses prises de position et je cautionne encore moins les insultes et les menaces de mort qui lui ont été proférées. Mais lorsqu'une figure publique de cette envergure vient mettre son grain de sel pour discréditer le vécu de quelqu'un ou tenter de les invisibiliser, il me semble normal et sain qu'un torrent indignation en découle.
Si j'ai décidé de parler de ce sujet aujourd'hui, c'est surtout parce que, comme des milliers, voire des millions de fans à travers le monde, j'ai grandi avec Harry Potter. Avec un rêve : celui de pouvoir être qui on a envie d'être, celui de croire que lorsque tout va mal, on peut à tout moment recevoir cette lettre (ou ce mail) qui viendra bouleverser le cours de notre vie. Et c'est en ça que je n'ai jamais compris le discours de J.K. Rowling sur les personnes trans, qui n'a jamais fait sens pour moi. Et j'espère qu'avec ces "quelques" lignes, j'aurais su apporter des réponses à la petite fille que j'étais.
Article écrit avec l'aide précieuse de Chat GPT. Tous les mots sont les miens.
Amandine Sanchez
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