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Quand le cinéma d’horreur fait craindre la maladie mentale



Psychose - Alfred Hitchcock © Shamley Productions

Reclus derrière les murs capitonnés d’un hôpital psychiatrique, sanglés aux barreaux d’un lit ou en liberté, couteau de boucher en main. Voilà quelques représentations de personnes atteintes de troubles mentaux dans nos films d’horreur préférés. Et malgré la volonté de nombreux médecins et associations pour faire connaître les maladies psychiatriques, ces clichés ont la dent dure.


1920, l’expressionnisme allemand est à son apogée et Le cabinet du docteur Caligari marque les balbutiements du cinéma d’épouvante. Pendant 1h10, le spectateur est pris au piège dans le récit de Francis entre triangle amoureux et somnambulisme. Mais ce n’est que dans les dernières minutes du film qu’on apprend que Francis est interné dans un hôpital psychiatrique et que son histoire n’était que la mise en scène de ses hallucinations. Le réalisateur Robert Wiene signe ici le début d’une longue histoire entre cinéma d’horreur et psychiatrie.


"Au cinéma, l’avantage, c’est que la maladie mentale peut faire un très bon cliffhanger (un élément scénaristique qui tient le spectateur en haleine, ndr)", reconnaît Marine Rimbaud, psychiatre et spécialiste de la représentation de la schizophrénie au cinéma.


"Je n'ai pas besoin de vous voir, je ne porte pas la robe de ma mère"


Dans les décennies qui ont suivi la sortie du Cabinet du docteur Caligari, de nombreux films ont employé la même mécanique de révélation finale. C’est le cas de Psychose, érigé en chef d’œuvre du cinéma d’horreur, qui aura fait redouter à toute une génération l’heure de la douche. Alfred Hitchcock, fasciné par la psychanalyse freudienne, y ancre un peu plus la figure du tueur psychopathe dont les pulsions meurtrières dépassent sa volonté propre. L’intrigue principale tourne autour du meurtre de Marion Crane, violemment tuée à coups de couteau dans un motel. A la fin du film, on assiste ainsi à la grande révélation : le tueur n’est autre que Norman Bates, le gérant du motel vêtu des habits de sa défunte mère. Et à l’explication qui va avec : le jeune homme est atteint d’un trouble dissociatif de l’identité et tue toutes les femmes qui feraient concurrence à l’amour maternel. Pour Marine Rimbaud, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, l’histoire de Norman Bates a marqué l’inconscient collectif : "Les patients sont tout le temps en train de me dire : 'je n’ai pas besoin de vous voir, je ne porte pas la robe de ma mère'".


L'amalgame facile entre identité de genre et maladie mentale


Les représentations d’hommes vêtus en femme sont monnaie courante dans le cinéma d’épouvante. Comme si, inéluctablement, le fait de se travestir menait à un triple homicide. C’est ainsi qu’on retrouve cette idée dans Pulsions de Brian de Palma, lui-même grand admirateur d’Alfred Hitchcock. Michael Caine y incarne le Docteur Elliott, un psy qui, affublé d'une perruque blonde et de lunettes noires, poignarde des femmes sans motif apparent. Si, comme dans le cas de Psychose, on assiste à cette scène de révélation, il n’est pourtant pas fait mention d’un trouble quelconque. Ainsi, le film fait planer le doute, esquissant un lien maladroit entre transidentité, problème psychiatrique et meurtres sanguinaires.


Dans sa thèse sur les représentations de la schizophrénie au cinéma, la psychiatre Marine Rimbaud a analysé 30 films mettant en scène des personnes atteintes de troubles ou maladies psychiatriques. Dans près de 87% des cas, les protagonistes sont agressifs envers les autres et un film sur deux met en scène une tentative de meurtre. En réalité, les personnes atteintes de schizophrénie ou de troubles bipolaires sont très éloignées des tueurs psychopathes et sanguinaires que l’on retrouve dans les fictions. "En général, les patients sont beaucoup plus victimes de violence qu’auteurs, assure Marine Rimbaud. Dans The Voices (de Marjane Satrapi, ndr), tous les clichés sont réunis ; le protagoniste est idiot, violent et tue tout le monde".


L’hôpital psychiatrique, objet de tous les fantasmes


Ces représentations ont un véritable impact sur la prise en charge des malades. "Les gens ont très peur, ils vont dire que les psychiatres, c’est pour les dingues. Pourtant, plus le diagnostic est posé tard dans la maladie, plus elle sera difficile à traiter",  se désole Marine Rimbaud.


Autre poncif qui écume les films d’horreur : l’hôpital psychiatrique bien glauque aux méthodes peu déontologiques. Dans Shutter Island de Martin Scorsese, on suit le marshal Teddy Daniels, incarné par Leonardo Dicaprio, et son coéquipier Chuck Aule (Mark Ruffalo). Les deux compères se rendent sur une île mystérieuse qui abrite un hôpital psychiatrique d’où s’est échappé une patiente. Comme de nombreux réalisateurs avant lui, Martin Scorsese fait le choix de planter son décor dans les années 1950.


"On nous ressort toujours les mêmes clichés avec la lobotomie, les électrochocs ou les traitements qui transforment en zombie. Je trouve que c’est dommage de revenir toujours à cette représentation de la psychiatrie", regrette Marine Rimbaud. Longs couloirs sombres aux murs suintants, traitements de choc à base de bains glacés, personnel dénué d’empathie, autant de représentations qui ont envahi l’inconscient collectif et qui font aujourd’hui craindre la perspective d’un séjour en hôpital psychiatrique.

On retrouve ces mêmes ressorts dans le désormais culte Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman. Jack Nicholson y incarne Randle Patrick McMurphy, un homme accusé de viol, qui se fait interner dans un hôpital psychiatrique pour échapper à la prison. Le film de 1975 met en scène la relation conflictuelle du protagoniste avec l’antipathique infirmière Ratched, qui aura droit à sa série dédiée en 2020. Le programme Netflix bat ainsi des records d’audience avec plus de 48 millions de visionnages en mois d’un mois. La preuve, que plus de 100 ans après Le cabinet du Docteur Caligari, la psychiatrie n’a pas fini d’envahir les œuvres de fiction.


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